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La lutte contre les violences conjugales sous le prisme de l’ordonnance de protection

Issue de la loi n°2010-769 du 09 juillet 2010, l’ordonnance de protection est codifiée aux articles 515-9 et suivants du Code civil.

 

Elle permet aux Juge Aux Affaires Familiales de statuer en urgence afin d’assurer la protection des victimes de violences conjugales ou intrafamiliales.

 

Très récemment, la loi n°2024-536 du 13 juin 2024 a introduit une mesure totalement inédite en droit français : l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI).

 

I.              Qui peuvent être les bénéficiaires d’une ordonnance de protection ?

 

Les bénéficiaires d’une ordonnance de protection peuvent être [1]:

 

-    Le conjoint marié, pacsé ou en concubinage (y compris lorsqu’il n’y a pas de cohabitation entre l’auteur et la victime) ainsi que l’ancien conjoint marié, pacsé ou en concubinage (y compris lorsqu’il n’y a jamais eu de cohabitation entre l’auteur et la victime) ;

-       Les enfants ;

-       Une personne majeure menacée de mariage forcée.

 

Très important : La délivrance d’une ordonnance de protection n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable [2].

 

II.            Les conditions de fonds d’une ordonnance de protection

 

Deux conditions cumulatives doivent être remplies afin de bénéficier d’une ordonnance de protection [3]:

 

-       Les violences alléguées doivent être vraisemblables ;

-       Un danger doit être vraisemblable à l’égard de la victime ou des enfants.

 

Attention : La charge de la preuve pèse sur la victime des violences alléguées.

 

Il appartiendra ensuite au Juge aux Affaires Familiales d’apprécier souverainement le caractère vraisemblable des violences et du danger (Civ.1ère, 10 février 2021, n°19-22.793).

 

Précision importante : L’ordonnance de protection est un dispositif autonome et n’est pas soumis aux dispositions de l’article 205 du Code de procédure civile, lequel prohibe les témoignages des descendants dans le cadre d’une demande en divorce ou en séparation de corps (Crim. 2 juin 2015, n° 14-85.130, AJ fam. 2015. 403, obs. S. Thouret). 

 

En pratique, il sera donc possible, le cas échéant, de recueillir les témoignages des enfants dans le cadre d’une ordonnance de protection.


III.          Les conditions de forme d’une ordonnance de protection

 

Le Juge Aux Affaires Familiales doit être saisi par le biais d’une requête, laquelle doit être remise et adressée au greffe du tribunal judiciaire du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure, ou, en présence d'enfants mineurs, du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs [4].

 

Outre les mentions prescrites par les articles 54 et 57 du Code de procédure civile, la requête doit contenir à peine de nullité [5] :

 

-       Un exposé sommaire des motifs de la demande ;

-       En annexe, les pièces sur lesquelles la demande est fondée.

 

Précision importante : La personne qui sollicite le bénéfice d’une ordonnance de protection est dispensée, si elle le souhaite, de mentionner l’adresse de son domicile ou de sa résidence dans sa requête, sous réserve toutefois de porter cette information à la connaissance de l'avocat qui l'assiste ou le représente ou du procureur de la République près du tribunal judiciaire, auprès duquel il élit domicile. L’acte introductif d’instance doit mentionner cette élection de domicile[6].

 

Si les conditions sont réunies, le juge rendra alors sans délai une ordonnance fixant la date de l'audience[7], laquelle interviendra dans un délai maximal de six jours [8].

 

Précision importante : L’ordonnance rendue par le Juge Aux Affaires Familiales est une mesure d'administration judiciaire, et donc insusceptible de recours.

 

La copie de l'ordonnance est alors notifiée [9] :

 

-       Au demandeur, par le greffe, par tout moyen donnant date certaine ou par remise en mains propres contre émargement ou récépissé ;

 

-       Au défendeur, par voie de signification à l'initiative soit du demandeur lorsqu'il est assisté ou représenté par un avocat, soit du greffe lorsque le demandeur n'est ni assisté ni représenté par un avocat, soit du ministère public lorsqu'il est l'auteur de la requête ; dans ce cas, ce dernier fait également signifier l'ordonnance à la personne en danger ;

 

-       Par voie administrative en cas de danger grave et imminent pour la sécurité d'une personne concernée par une ordonnance de protection ou lorsqu'il n'existe pas d'autre moyen de notification ; le cas échéant, l'autorité administrative y procède par remise contre récépissé et informe, dans les meilleurs délais, le greffier des diligences faites et lui adresse le récépissé [10].

 

La signification doit être faite au défendeur dans un délai de deux jours à compter de l'ordonnance fixant la date de l'audience afin de respecter le principe du contradictoire et des droits de la défense.

 

La copie de l'acte de signification doit être remise au greffe au plus tard à l'audience.

 

IV.  Comment se déroule une audience dans le cadre d’une ordonnance de protection ?

 

La procédure est orale et les parties ont le choix[11] :

 

-       Soit de se défendre elles-mêmes ;

-       Soit de se faire assister ou d’être représentées par un avocat (recommandé en pratique).

 

L’affaire est instruite et débattue en chambre du Conseil (audience non publique), après avis du Ministère Public [12].

 

Le Juge aux Affaires Familiales devra s’assurer qu’il s’est écoulé un temps suffisant entre la convocation et l'audience pour que le défendeur ait pu préparer sa défense [13].

 

Lors de l’audience, il procèdera à l'audition des parties et les entendra séparément s'il le décide ou si l'une des parties le sollicite [14].


V.   Quelles sont les mesures qui peuvent être prises par le Juge aux Affaires Familiales ?


S’il décide de prononcer une ordonnance de protection, le Juge est compétent pour statuer sur un certain nombre de mesures limitativement énumérées à l’article 515-11 du Code civil :

 

A.   Des mesures d’ordre pénal

 

Le Juge aux Affaires Familiales (JAF) peut ainsi :

 

-       Interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le JAF, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit [15] ;

 

NB : Le cas échéant, le Juge peut ordonner le port d’un bracelet anti-rapprochement, consistant en une interdiction pour le défendeur de se rapprocher de la partie demanderesse à moins d'une certaine distance préalablement fixée. Pour pouvoir prononcer une telle mesure, le consentement des deux parties est requis [16].

 

-       Interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse [17] ;

 

-       Interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme[18] ;

 

-       Ordonner à la partie défenderesse de remettre au service de police ou de gendarmerie le plus proche du lieu de son domicile les armes dont elle est détentrice [19].

 

B.    Des mesures d’ordre civil

 

En outre, le Juge aux Affaires Familiales peut :

 

-       Statuer sur la résidence séparée des époux : Dans ce cas, la jouissance du logement conjugal sera attribuée, sauf ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières, au conjoint qui n'est pas l'auteur des violences, et ce même s'il a bénéficié d'un hébergement d'urgence [20] ;

 

-       Statuer sur le sort du logement commun de partenaires liés par un pacs ou de concubins dans les mêmes conditions que pour les époux [21] ;

 

-       Se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale (modalités du droit de visite et d'hébergement et la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants sans possibilité pour les parties d'écarter l'intermédiation financière des pensions alimentaires), la contribution aux charges du mariage pour les couples mariés et sur l'aide matérielle pour les partenaires pacsés [22] ;

 

-       Attribuer à la partie demanderesse la jouissance de l'animal de compagnie détenu au sein du foyer depuis la loi n°2024-536 du 13 juin 2024 [23].

 

C.    Des mesures de protection et d’accompagnement

 

Enfin, le Juge aux Affaires Familiales peut :

 

-       Proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ou un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes [24] ;

 

-       Autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile chez l'avocat qui l'assiste ou la représente ou auprès du procureur de la République pour toutes les instances civiles dans lesquelles elle est également partie [25] ;

 

-       Autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile pour les besoins de la vie courante chez une personne morale qualifiée (ex : Association) [26] ;

 

-       Prononcer l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle des deux parties ou de l'une d'elles [27]

 

VI.Quelle est la durée des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance de protection ?

 

Très important : Depuis la loi du n°2024-536 du 13 juin 2024, les mesures visées à l’article 515-11 du Code Civil sont prises pour une durée maximale de douze mois à compter de la notification de l’ordonnance (avant la promulgation de cette loi, la durée des mesures n’était que de six mois) [28].

 

Toutefois, les mesures peuvent être prolongées au-delà si durant ce délai (douze mois) :

 

-       Une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ;

-       Si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale.

 

Enfin, le Juge aux affaires Familiales peut, à tout moment, à la demande du Ministère Public ou de l'une ou l'autre des parties, ou après avoir fait procéder à toute mesure d'instruction utile, et après avoir invité chacune d'entre elles à s'exprimer, supprimer ou modifier tout ou partie des mesures énoncées dans l'ordonnance de protection, en décider de nouvelles ou accorder à la personne défenderesse une dispense temporaire d'observer certaines des obligations qui lui ont été imposées.

 

VII. Que se passe-t-il en cas d’inexécution des mesures prises en vertu de l’ordonnance de protection ?

 

Depuis la loi du n°2024-536 du 13 juin 2024, la violation des mesures prises en vertu d’une ordonnance de protection est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende (avant la promulgation de cette loi, les sanctions prévues étaient inférieures, soit deux ans d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende) [29].

 

VIII. Quelles sont les nouveautés spécifiques issues de la loi n°2024-536 du 13 juin 2024 ?

 

Cette nouvelle loi introduit désormais une nouvelle mesure totalement inédite : l’ordonnance provisoire de protection immédiate[30] (OPPI).

 

Elle peut être délivrée par le Juge aux Affaires Familiales dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa saisine (par la personne en danger elle-même, son avocat ou directement par le Procureur de la République avec l’accord de la personne en danger), s'il estime, au vu des seuls éléments joints à la requête, qu'il existe cumulativement des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables :

 

-       La commission des faits de violence allégués ;

-      Un danger grave et immédiat auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés.

 

En cas de mariage forcé, une ordonnance provisoire de protection immédiate, assortie d’une interdiction temporaire de sortie du territoire de la personne menacée, pourra également être délivrée [31].

 

Il s’agit d’une procédure sans contradictoire (le défendeur n’aura pas la possibilité de se défendre et n’aura pas accès aux pièces du dossier).

 

Le Juge aux Affaires Familiales se prononcera donc sur les seuls éléments contenus dans la requête de la victime alléguée, laquelle devra apporter toutes les pièces justificatives au soutien de ses intérêts (photos, SMS, témoignages, plainte …).

 

Conçue en cas de danger imminent pour protéger la victime et ses enfants, le contradictoire sera réintroduit lors du traitement de l’ordonnance provisoire classique en six jours.

 

Si une OPPI est délivrée, le Juge aux Affaires Familiales sera compétent pour prononcer à titre provisoire les mesures suivantes :

 

-       Les mesures mentionnées aux 1° à 2° bis de l'article 515-11 du Code civil ;

-       La suspension du droit de visite et d'hébergement du parent violent ;

-       L’autorisation pour la personne victime de pouvoir dissimuler l’adresse de son domicile ou de sa résidence.

 

Attention : L’octroi de telles mesures est limité dans le temps. Celles-ci ne pourront être prises que pour une durée de six jours. 

 

A l’issue de ce délai, le Juge aux Affaires Familiales devra rendre une ordonnance de protection classique et décider ou non de leur maintien.

 

IX.          Que se passe-t-il en cas de rejet de l’ordonnance de protection ?

 

Lorsque le juge rejette la demande d'ordonnance de protection, il peut néanmoins, si l'urgence le justifie et si l'une ou l'autre des parties en a fait la demande, renvoyer celles-ci à une audience dont il fixe la date pour qu'il soit statué au fond sur les points suivants [32] :

 

-       Les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ;

-       La contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant.

 

Il veille à ce que le défendeur dispose d'un temps suffisant pour préparer sa défense.

 

X.            Quel est le délai pour contester une ordonnance de protection ?

 

L'ordonnance de protection est susceptible d'appel dans un délai de quinze jours suivant sa notification [33].

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Articles 515-9 et 515-13 du Code civil

[2] Article 515-10 alinéa 1 du Code Civil

[3] Article 515-11 du Code civil 

[4] Articles 1070 et 1136-3 du Code de procédure civile

[5] Article 1136-3 alinéa 2 du Code de procédure civile

[6] Articles 515-11 du Code civil et 1136-5 du Code de procédure civile

[7] Article 1136-3 alinéa 3 du Code de procédure civile

[8] Article 515-11 du Code civil

[9] Article 1136-3 alinéa 6 du Code de procédure civile

[10] Article 1136-10 du Code de procédure civile

[11] Article 1136-6 alinéas 1 et 3 du Code de procédure civile

[12] Article 1136-6 alinéa 2 du Code de procédure civile

[13] Article 1136-6 alinéa 4 du Code de procédure civile

[14] Article 1136-6 dernier alinéa du Code de procédure civile

[15] Article 515-11 1° du Code civil

[16] Article 515-11-1 du Code civil

[17] Article 515-11 1° bis du Code civil

[18] Article 515-11 2° du Code civil

[19] Article 515-11 2° bis du Code civil

[20] Article 515-11, 3° du Code civil

[21] Article 515-11 4° du Code civil

[22] Article 515-11 5° du Code civil

[23] Article 515-11 3°bis du Code civil

[24] Article 515-11, 2° bis du Code civil

[25] Article 515-11, 6° du Code civil

[26] Article 515-11, 6° bis du Code civil 

[27] Article 515-11, 7° du Code civil

[28] Article 515-12 du Code civil

[29] Article 227-4-2 du Code pénal

[30] Article 515-13-1 du Code civil

[31] Article 515-13 II du Code civil

[32] Article 1136-15 du Code de procédure civile

[33] Article 1136-11 du Code de procédure civile

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